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M. Mahaman Laouan Gaya, Secrétaire Exécutif de l’Association des Producteurs de Pétrole Africains (APPA) : ‘’La seule solution qui s’offre à nous est la diversification des économies nationales ; solution unique pour résister au mieux aux chocs exogè

La débâcle des cours du baril s’est poursuivi alors, étouffant davantage les économies des pays producteurs, y compris celles des ‘’frères ennemis’’. Afin d’éviter donc un ‘’suicide collectif’’, tous les protagonistes ont mis à profit une réunion ministérielle du Forum International de l’Energie (FIE) qui s’est tenue à Alger du 26 au 28 Septembre 2016 pour, bon gré, mal gré, ‘’accorder leurs violons’’, comme on dit. Sous le leadership diplomatique de l’Algérie, les pays de l’OPEP ont finalement consenti de réduire leurs productions de pétrole de 5%, soit 1,2 million de barils par jour. Cet accord a été paraphé au siège de l’OPEP à Vienne en Novembre passé, suivi d’un accord des pays non-OPEP pour une réduction d’environ 600.000 barils par jour.

En début Décembre, l’Association des Producteurs de Pétrole Africains (APPA) pour sa part, dans une déclaration rendue publique ici même à Abidjan, a appuyé cette décision de l’OPEP et appelé ses pays membres à consentir également un effort pour soutenir la remontée des cours du pétrole. Ce sont donc ces décisions mises en œuvre le 01 Janvier 2017 qui ont fait ‘’revivre’’ le marché international du pétrole. Mais je dois préciser que déjà l’effet d’annonce de la décision d’Alger a vu la progressive remontée des cours. Aujourd’hui, le baril oscille timidement autour de 55 dollars US, mais nous osons espérer qu’il atteindra la barre de 65-70 dollars US courant 2017, pour que les économies des pays producteurs commencent véritablement à respirer.

A qui a profité cette baisse des cours du pétrole brut ?

Pratiquement à personne, hormis les sociétés de raffinage de pétrole et, pendant un certain temps, les spéculateurs des marchés financiers. Les consommateurs, comme vous et moi, n’avions vu aucun changement notable à la pompe; du moins en Afrique. Mais par contre, les impacts négatifs de la baisse des cours du pétrole ont fait l’unanimité dans quasiment tous les pays producteurs. Au début de cette crise, à l’idée de savoir si l’OPEP, et donc implicitement l’Arabie Saoudite, forte de ses 750 milliards de dollars US de réserve de change, allait réduire sa production afin de faire remonter les prix, la position de l’ancien ministre du pétrole saoudien, Ali Al-Naïmi, a été très claire : ‘’the price will go up and russians, brazilians, american shale oil producers will take our share’’.

Mieux, l’Arabie Saoudite pensait même pouvoir longtemps encaisser le choc d’une plus grande baisse des cours et que son ‘’trésor de guerre’’ devrait lui garantir de faire face à une impitoyable guerre d’usure économique. En effet, avec un baril à 20 dollars US, les Saoudiens affirmaient alors ne pas s’en émouvoir. Le Royaume avait pensé étouffer tous ses ‘’adversaires’’ et reconquérir allègrement ses parts de marché perdues. Mais les choses ont mal tourné et le budget du Royaume, sur trois années consécutives, s’est retrouvé avec un déficit abyssal. La situation n’a pas non plus été reluisante pour les autres pays. Les Etats-Unis, qui sont en partie responsables de la baisse des prix des hydrocarbures, n’en ont pas aussi pleinement profité. En effet, à partir de 2010, à la recherche d’une indépendance énergétique, ils ont créé les conditions pour le développement de l’industrie des hydrocarbures de schiste, notamment grâce à des afflux massifs de capitaux dans ce secteur.

Avec cette nouvelle et très coûteuse technologie de la fracturation hydraulique, le coût de production d’un baril de schiste avoisinait les 60-65 dollars US. Avec un baril de pétrole conventionnel supérieur à ce prix, de nombreux petits producteurs américains se sont engagés à investir dans ce secteur plein de promesses. Par ailleurs, ce phénomène fut (irrationnellement) soutenu par l’excès de liquidité mondiale émanant de politiques monétaires ultra accommodantes et donc d’une recherche exacerbée de rendement par ces investisseurs, pour l’essentiel individuels. Ces deux effets combinés ont permis aux nombreuses entreprises de l’industrie des schistes de s’endetter massivement, afin de financer de nouveaux forages.

Avec alors une production de pétrole de schiste de près de 4 millions de barils par jour, les États-Unis se sont retrouvés inondés de pétrole brut. Le pays suspend alors une partie de l’importation de son pétrole, notamment du Golfe Persique et de Guinée. Une loi interdisant l’exportation des hydrocarbures du territoire américain fut même abrogée et l’offre mondiale de pétrole brut a submergé. Le prix du baril a ainsi démarré sa dégringolade qui, du coup, a impacté les producteurs américains et leurs créanciers. Une vague de défaut fut alors enclenchée et les banques augmentèrent leurs provisions allouées aux prêts non performants ; si bien que certains observateurs ont vite fait l’analogie entre l’éclatement de la bulle spéculative dans l’industrie du schiste et celle des subprimes de 2007. De nombreuses entreprises et leurs créanciers tombèrent en faillite; celles qui survécurent étaient les plus solides financièrement.

Quel a été l’impact de cette chute des cours au niveau des producteurs africains ?

Je vous disais qu’aucun producteur de pétrole dans le monde n’a été épargné par cette chute de prix du pétrole, quoique l’impact soit différemment ressenti d’un pays à l’autre. Si les pays africains producteurs ont souffert et souffrent encore de cette baisse des cours du pétrole, c’est parce qu’ils ont toujours vécu une dépendance maladive vis-à-vis de la mono production pétrolière et que leurs économies sont encore trop peu diversifiées. Pourtant, très souvent évoquée comme solution pour accroitre leur résilience, la diversification de l’économie et des sources de recettes budgétaires peine à être mise en œuvre. L’histoire se répète et continuera à se répéter ; mais l’Homme ne tire jamais de leçons des moments difficiles. Avec cette remontée des cours du pétrole, nous risquons fort malheureusement d’assister à un autre report (jusqu’à la prochaine crise certainement !) de la politique de diversification économique tant prônée aujourd’hui. Comme le disait Sénèque, ‘’La vie, ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie’’.

La chute des prix du pétrole qui persiste depuis juin 2014 n’est pas la première de l’histoire de l’humanité et ne se sera très certainement pas la dernière. Nous devrons donc apprendre à jouer avec les caprices du marché pétrolier. Cette crise a eu des effets récessifs dans la quasi-totalité des pays exportateurs nets d’hydrocarbures : chute des cours des devises, ralentissement des investissements et des projets de développement, baisse des recettes budgétaires, avec tous leurs corollaires (ré-endettement, retards dans le paiement des salaires, baisse du pouvoir d’achat des ménages, recul de la consommation, chômage, dégradation des services sociaux et risques de tensions sociales,...) et des effets expansionnistes plus modérés dans les autres pays importateurs nets.

Dans beaucoup de pays africains producteurs, les hydrocarbures représentent une part très élevée du PIB, au point où elles frôlent 90 à 95% des recettes d’exportation et des recettes budgétaires; autrement des économies entièrement adossées à la rente pétrolière. Le phénomène qui a aussi frappé ces pays, c’est la réduction, de manière logarithmique, des bénéfices exceptionnels (qu’on appelle ‘’windfall’’ profits ou profits ‘’tombés du ciel’’ dans le jargon pétrolier) et qui sont un élément de la rente pétrolière qui profite beaucoup aux contrats de partage de production. Cette situation a donc occasionné une importante baisse des revenus à ces Etats, ce qui a abouti à des profonds déficits budgétaires, et en pareille circonstance, l’on fait tout simplement recours à l’endettement extérieur.

Et le redoutable cycle d’endettement, qui a précédé les programmes d’ajustement structurel des années 80, de reprendre à nouveau au grand plaisir des créanciers occidentaux. Une fois dans cette spirale, les maillons faibles pour réajuster le budget sont les secteurs sociaux (éducation, santé, hydraulique,…), les salaires des fonctionnaires et les subventions accordées aux produits de première nécessité qui vont connaître des coupes dans leurs prévisions de dépenses. Dans le lot des producteurs africains, seul le Niger qui produit (les 20.000 barils par jour de production sont entièrement raffinés sur place) mais qui n’exporte pas son brut, et relativement l’Afrique du Sud, le Cameroun et la Côte d’Ivoire, ont su échapper à cette tempête pétrolière.

Déjà, pour l’année 2016, les perspectives de croissance de nombreux pays ont été revues à la baisse par le FMI et la Banque Mondiale ; en raison bien évidemment de la baisse persistante des prix des produits de base (pétrole en particulier), mais aussi des problèmes d’insécurité liés au terrorisme (Boko Haram, Aqmi, Shebab, etc…) et un déficit de la gouvernance économique. Selon le Rapport de la Banque Africaine de Développement (BAD) ‘’Perspectives économiques en Afrique – 2016’’, la croissance moyenne du Continent devrait rester modeste à 3,7% en 2016, avant de se redresser à 4,5%...si la remontée des prix du pétrole reste progressive et durable. Alors, malgré la petite embellie due au rebond du prix du baril de pétrole observé depuis Septembre 2016, que je considère personnellement quelque peu timide, la‘’tempête’’ ne s’est pas encore totalement dissipée. Aussi, vous convenez avec moi que la volatilité des prix des hydrocarbures a encore été une fois révélatrice des politiques ‘’court-termistes’’ des décideurs et de la faiblesse des stratégies de stabilisation et de diversification des économies qui sont seules à même de conduire à un développement durable.

Je crains que nous continuâmes à pâtir encore plus sévèrement des incidences néfastes de cette crise pétrolière sur l’état des finances publiques de nos pays. Ailleurs au Venezuela, la situation économique s’est tellement détériorée que des émeutes de la faim (qui ont failli aboutir à des insurrections populaires) ont éclaté par dizaines ces derniers temps, et le gouvernement a dû signer un décret d’état d’urgence économique. Le gouvernement de ce pays traverse actuellement des moments extrêmement difficiles. Les Africains ne sont pas un copier-coller de la dynamique vénézuélienne, mais ils paient eux aussi chèrement leur entière dépendance à la rente pétrolière.

Dans un tel contexte, les pays producteurs africains ne doivent-ils pas définitivement mettre le cap sur la diversification des économies ?

Bien sûr que oui ! Mais seulement, les habitudes ont la tête dure. Avec la chute des prix de pétrole et la baisse drastique des recettes budgétaires, tous les discours politiques tournaient autour de la diversification des économies. Comme je le disais tantôt, la chute des prix du pétrole qui a persisté depuis juin 2014 n’est pas la première de l’histoire de l’humanité et ne se sera très certainement pas la dernière. Nous allons peut-être vivre une hausse des prix du pétrole comme on en a déjà vécu, mais un jour, il y aura inévitablement une autre baisse. C’est ‘’quasi-naturel’’ ! Mais maintenant que la tempête s’apaise, mon inquiétude est qu’avec une éventuelle très forte remontée des cours, l’on ne soit tenté d’oublier tous les beaux discours des campagnes électorales de 2016, et ne se les rappeler que quand la situation redeviendra catastrophique. C’est ça notre problème !

Comme je le disais déjà, nous devrons apprendre à jouer avec les caprices du marché pétrolier et de ceux des autres matières premières. La seule solution qui s’offre à nous est la diversification des économies nationales, solution unique pour résister au mieux aux chocs exogènes. Les ressources énergétiques, tant d’origines fossiles (hydrocarbures, uranium) que d’origines renouvelables (biomasse, solaire, hydraulique, éolienne, géothermie,...) sont exceptionnellement abondantes en Afrique. Outre la diversification de nos économies (développement du secteur primaire en particulier), nous devons cheminer vers la promotion de mix énergétique en mettant un accent sur la transition et l’efficacité énergétiques et le développement des énergies renouvelables.

Aujourd’hui, l’Africain ne participe que très faiblement à la consommation énergétique mondiale avec une moyenne annuelle de l’ordre de 0,4 tep (tonnes équivalent pétrole), contre 4 tep pour un Européen et près de 7,8 tep pour un Américain. Et toute activité économique moderne, telle que nous la connaissons aujourd’hui, ne peut s’imaginer sans ressources énergétiques relativement abondantes et bon marché. Les problèmes qui plombent le développement économique et social de nos pays ne sont rien d’autre que la non-prise en compte des dispositions susmentionnées, une gouvernance du secteur énergétique et la problématique du développement durable dans leur politique économique.

Qu’entendez-vous alors faire au niveau de l’APPA ?

Nous venons justement de tenir, le 10 janvier 2017 à Abidjan en Côte d’Ivoire, une réunion ad ‘hoc du comité interministériel en charge de la réforme de l’APPA. En effet, la réforme institutionnelle de l’APPA est un projet décidé par le Conseil des Ministres et inscrit au 8ème Programme d’Actions quinquennal 2012-2017 de l’Association. Notre nouvelle vision est, aujourd’hui, de recadrer la politique et revoir la gouvernance tant interne que celle de certains organes et instances de notre organisation qui sont en total déphasage avec le contexte de la géopolitique pétrolière et énergétique actuelle et avec la gouvernance économique et politique des organisations de son envergure.

Nous ambitionnons aujourd’hui de rompre avec le passé et de répondre aux préoccupations réelles des pays membres et de leurs populations en participant effectivement au développement des activités pétrolières et gazières du Continent africain, au développement de la coopération énergétique africaine, à l’accroissement du contenu local dans l’industrie pétrolière, au développement d’un marché africain du pétrole et des produits pétroliers, à la réactivité aux grands enjeux énergétiques mondiaux (instabilité des cours du pétrole, problèmes environnementaux, transition énergétique, réduction de la pauvreté énergétique en Afrique, etc.) et à l’arrimage de notre organisation aux grandes orientations énergétiques mondiales énoncées par les Nations Unies (Initiative SE4All…), l’Union Africaine (Vision Minière de l’Afrique), le NEPAD, la Banque Africaine de Développement, le Conseil Mondial de Pétrole, le Conseil Mondial de l’Energie, etc.

La future APPA doit avoir un positionnement stratégique dans les secteurs énergétique, pétrolier et gazier mondiaux et promouvoir ses activités à l’instar des autres institutions similaires, comme l’OPEP, l’OPAEP, l’OLADE, etc. Dans le cadre de cette réforme, des cadres de concertation et de réflexion mieux élaborés seront mis en place, et il a d’ores et déjà été décidé que l’instance suprême de la future APPA (qui s’appellera désormais Organisation des Producteurs de Pétrole Africains - APPO), sera le sommet des Chefs d’Etat.

Le pétrole et l’énergie sont des facteurs très importants pour le développement et éminemment stratégiques, au point qu’ils méritent d’être placés sous le contrôle des plus hautes autorités de nos pays. Pris isolément, les pays africains sont incapables de se battre à armes égales contre les autres acteurs internationaux, mais avec près de 12% de la production pétrolière mondiale et une ferme volonté politique, l’Afrique pourrait valablement occuper le rang de premier producteur mondial d’hydrocarbures devant l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et la Russie, et ne pas attendre que le prix de son propre pétrole soit fixé ailleurs. Cela n’est pas à négliger.

L’Afrique peut ne pas avoir besoin d’exporter tout son pétrole. Avec une population de plus d’un milliard de consommateurs et d’abondantes ressources énergétiques, les conditions sont réunies pour la constitution d’un véritable marché africain. L’APPA va justement très bientôt se lancer dans une étude pour la création d’un marché africain de pétrole brut et de produits pétroliers. L’organisation aux échelles régionale et continental d’un marché physique de pétrole brut et des produits pétroliers s’avère nécessaire ; il pourrait par la suite se financer et aboutir à la création d’une bourse de valeurs pétrolières.

Réalisée par Assane Soumana(onep)
20 janvier 2017
Source : http://lesahel.org/