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Sénat : silence, on romanise ! / Par Dr Farmo Moumouni

Au commencement, il y avait la Constitution du 4 octobre 1958. Puis, dans le brouhaha, il y eut des colonies indépendantes fort dépourvues en lois. Alors, on décida de combler le vide. À cette fin, des démiurges et des scribes furent désignés, et devant leurs yeux, on plaça le modèle constitutionnel primordial. Ils créèrent des parodies et des mimiques, des clones et des avatars.
La rédaction première des lois fondamentales fut confiée aux copistes professionnels de la Métropole. Lorsque les autochtones furent assez doctes en pastiche et experts en rapiéçage, il y eut dévolution des compétences. Nous voici, vivant depuis six (6) décennies au rythme de la reproduction de l’archétype de 1958. On revoit les copies, on répare les imperfections, on ajoute ou retranche des lambeaux, on coud, on découd, on recoud : on révise.
Ainsi donc, chez nous, conformément à la tradition du mimétisme, il y aura une révision constitutionnelle. Et pour cause ! La Constitution du 4 octobre 1958 énonce au deuxième alinéa de son article 24 : « Il (le Parlement) comprend l’Assemblée nationale et le Sénat » La révision constitutionnelle à venir sera fort probablement faite en ces termes ou en des termes similaires.
Prenez d’une main la Constitution de 1958, prenez de l’autre la Constitution du 25 novembre 2010, et comparez. Vous y verrez les ressemblances, vous verrez que les choses sont dites souvent avec les mêmes mots, vous verrez des phrases construites selon la même structure, la même ponctuation, Vous verrez en grand nombre des périphrases et des paraphrases.
La Constitution de 58 consacre le bicaméralisme qui avait été omis dans nos Constitutions. L’erreur des copistes sera réparée. Le Sénat créé, nous aurons notre parlement à deux chambres, nous nous inscrirons dans la longue tradition de l’imitation, et serons en adéquation avec notre destin
Mais, d’où vient le Sénat, cette institution qu’on veut greffer sur le corps politique nigérien? De la Constitution française de 1958 évidemment, mais plus loin encore, de l’Antiquité romaine. Français, Italiens, Allemands, Américains et autres Occidentaux, se sont retournés vers leur histoire gréco-latine, s’y sont ancrés, s’en sont inspirés, y ont puisé des mécanismes et des instruments politiques (République, Démocratie, Parlement, Assemblée), les ont adaptés aux temps, aux circonstances et conditions particulières dans lesquelles ils vivaient.
En reprenant les institutions et les systèmes créés par leurs ancêtres, en les adaptant aux besoins de leurs temps, ils investissaient le passé dans le présent. Le Sénat qui vient du latin Senex (Vieil homme), avant de connaitre des transformations et des adaptations au fil du temps, a d’abord été l’assemblée des doyens des tribus romaines dont le rôle était de conseiller le roi (6e siècle av. J.-C.).
Or nos ancêtres ne sont pas romains, ils ne sont ni grecs ni gaulois. Pourquoi donc nous obstinons-nous à perpétuer ce que des ancêtres qui ne sont pas les nôtres ont légué aux descendants que nous ne sommes pas, à reproduire des éléments culturels et civilisationnels, au détriment de nos cultures et de notre civilisation ?
Votre souhait est d’avoir un parlement bicaméral? Regardez à côté de vous, au 19e siècle, au Dahomey, sous le règne du roi Béhanzin, le fonctionnement du parlement avec ses deux chambres, celle des hommes et celles des femmes qui avaient les mêmes prérogatives. Il pourrait vous inspirer.
Vous voulez des institutions créées par vos ancêtres, adaptables à vos mœurs, à vos cultures et aux besoins de votre temps, l’Égypte ancienne, la Nubie, le Ghana, le Mali, le Songhay, le Kanem-Bornou, les États Haoussa, les Cité yoruba, le Mossi, le Cayor (pour ne citer que ceux-là), en propose à profusion.
Vous voulez réviser la Constitution, quand il faut la repenser. Mais si le Sénat peut être de quelque utilité dans la lutte contre le terrorisme, pour des millions de Nigériens menacés de famine, pour les enfants étudiant à même sol sous des cabanes, pour les hôpitaux qui manquent de médicaments, alors la révision sera un moindre mal.