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INVITE / Cissé Ibrahim Junior : Un scientifique qui fait honneur au pays

Cisse Ibrahim JuniorOn dit souvent que la valeur n'attend pas le nombre des années. La trentaine à peine entamée, notre jeune compatriote Cissé Ibrahim, fils d'un célèbre avocat de la place, qui s'est fait un nom dans la communauté scientifique des Etats Unis, enseigne aujourd'hui dans la plus prestigieuse école d'ingénieurs de ce pays, le Massachussetts Institute of Technologie (MIT) de Boston où il dirige par ailleurs un laboratoire qui combine à la fois les recherches en physique et en chimie moléculaire. Itinéraire d'un jeune prodige…

Bonjour Pr Cissé Ibrahim, vous êtes Professeur de physique, Directeur de recherches du laboratoire a votre au Massachussetts Institute of Technologie aux USA. Il est rare de voir un nigérien arriver à une telle position dans les universités américaines. Quel est le parcours qui vous a amené à cette place ?

Je dirais que c'est un parcours que certains qualifieront d'atypique. J'ai fais mes études primaires et secondaires au Niger. J'ai été admis à l'examen du BEPC dès la 4ieme et ensuite le Baccalaureat dés la 1ere année au Lycée Soni Ali Ber. Je suis ensuite parti aux Etats Unis aux frais de ma famille où j'ai poursuivi mes études en Caroline du Nord jusqu'au Bachelor de physique. Mais pendant que je préparais ce diplôme j'ai entrepris des projets de recherches en collaboration avec des chercheurs de l'université de Princeton. Ces recherches nous ont permis de découvrir comment est ce que la géométrie des objets nous informera sur la densité d'entassement aléatoire. Plus terre à terre, imaginons une boite contenant des bonbons ovales, comme les bonbons M&M®, qui sont orientés de manière aléatoire. On essaye de prédire de la géométrie de chaque bonbon, quel volume occuperaient ces bonbons entassés ? C'est assez amusant n'est ce pas, mais c'est en réalité un problème de mathématique assez difficile. Qu'il a été possible à la suite de recherches théoriques et expérimentales qui ont pris des centaines d'années. Les travaux avec mes collaborateurs de Princeton ont permis de résoudre ce problème. C'était ma première découverte scientifique, que nous avions publié en 2004 dans " Science Magazine ".

Après je suis allé faire mon doctorat en physique à l'université d'Illinois dont le campus principal est à Urbana et Champaign. Dans mes travaux de doctorat je me suis intéressé au contact entre des molécules biologique. A travers ces recherches nous sommes demandé comment détecter des molécules uniques, tout sachant que les interactions entre des biomolécules uniques sont très transitoires? La plupart du temps quand on fait de la biochimie ou de la biophysique, on met des milliards de molécules en solution pour en étudier l'effet moyen. Mais aujourd'hui avec des méthodes de microscopie très avancées nous arrivons à étudier le comportement de la molécule unique. Chaque molécule qu'on présume être identique à une autre molécule produit des effets aléatoires qui peuvent avoir des retombées importantes dans le processus biophysique ainsi que dans la cellule. J'ai conduit ces travaux avec mon Directeur de thèse, le Professeur Taekjip Haà, à travers d'abord le développement de ces méthodes de microscopie qui consiste à effectuer des manipulations pour purifier les molécules biologiques tout en observant comment cela marche dans les tubes d'essais.

Après mon doctorat j'ai pensé que probablement si j'apprenais à faire des manipulations directement dans la cellule vivante je pourrais amener nos méthodes de microscopie sur les interactions transitoires en molécules uniques directement dans la cellule vivante.

En 2010, avec une bourse de l'Union EuroEuropéenne pour la biologie moléculaire (EMBO) et une bourse en physique de la Fondation Pierre Gilles de Gennes en France, j'ai continué, pour 3 ans, mes études à l'Ecole Normale Supérieure de Paris. Après il a fallu revenir aux Etats Unis pour des entretiens en vue de l'obtention d'un poste de Professorat. C'est ainsi que j'ai accepté à Boston le poste du Massachussetts Institute of Technologie (MIT) dans le Département de physique. J'ai créé mon propre laboratoire où depuis nous développons ces méthodes microscopiques très poussées pour regarder les comportements biomoléculaires avec des résolutions spectaculaires et directement dans des cellules vivantes.

Nous avons découvert récemment que dans le processus d'information encodée dans l'ADN en double hélices, comment cette information se décline d'ADN en ARN. Nous savions qu'une machine moléculaire appelée l'ARN polymérase entreprend un processus de liaison avec l'ADN et cette polymérase déplace sur l'ADN un peu comme le train va sur les rails, en déroulant la lecture des séries de lettres A,G,T,C (Adénine, Guanine, Thymine, Cytosine) qui sont les constituants des informations de notre patrimoine génétique. Mon laboratoire a découvert que ce processus de transcription de l'ADN à l'ARN, que nous connaissons même à travers des livres spécialisés, avait cependant une phase d'agrégation qui comportait quelques secondes et la durée de cette phase d'agrégation corrèle directement avec le taux ARN qui est un produit/décodé. C'est là-dessus que nous avons focalisés nos recherches ces dernier temps-ci, car savoir comment la cellule contre le taux de production de l'ARN c'est savoir ce qui fait la différence entre une cellule normale et par exemple une cellule cancéreuse; c'est un processus très important dans la génétique cellulaire mais qui n'est pas encore bien compris.

C'est vous qui dirigez en personne ce laboratoire de recherches et vous avez des étudiants de quels niveaux universitaires ?

Nous avons des étudiants qui font leur thèse en physique, ceux qui ont fini leur thèse mais qui sont en post doctorat et même ceux qui ont fini leurs études ailleurs et qui viennent dans le laboratoire pour parfaire leur niveau de recherches. Il m'arrive aussi, comme c'était mon cas, de prendre des jeunes étudiants de niveau Bachelor pour les initier aux travaux de recherches; l'initiation des jeunes aux recherches scientifiques c'est quelque chose auquel je tiens beaucoup !

Vous êtes dans un domaine de recherche très pointu qui touche à la physique et la biologie moléculaire. A quelle application de la vie courante tout cela peut déboucher ?

Nous opérons dans un domaine de recherches fondamentales en apportant du nouveau savoir sur des processus clés dans les régulations cellulaires. Notre motivation première c'est d'abord de comprendre comment fonctionne la nature, de découvrir et d'éclairer des importants mécanismes cachés que jusqu'à présent personne ne comprend pas exactement. Et les applications des résultats de nos recherches peuvent être dans des domaines auxquels nous n'avons jamais pensés.

Nous savons par exemple que les informations génétiques qu'on reçoit d'une manière héréditaire de nos parents sont contenues dans l'ADN et peuvent être transcrites et nous pensons maitriser mieux aujourd'hui ce mécanisme de décodage. Mais cependant il ya des maladies et des affections dites génétiques qu'on ne comprend toujours pas et que des recherches plus approfondies dans ce domaine permettront un jour de mieux comprendre et de guérir ou éviter. Cependant notre objectif à travers nos recherches n'est pas de résoudre des problèmes de santé mais de mieux comprendre ce qui se passe dans la cellule humaine en nous disant que la somme de savoir que nous découvrons dans ce domaine de recherches aura des retombées dans beaucoup de domaines. Il faut tout de même souligner que moi je suis physicien de formation, pas biologiste a la base, et pas chimiste non plus. Mais les découvertes que nous faisons nous permettra de collaborer avec des médecins, et peut être dans un future proche avec des compagnies pharmaceutiques qui développent des médicaments sur les problèmes médicaux liés aux processus cellulaires que nous étudions en détails dans le laboratoire.

Notre pays le Niger et peut être même beaucoup de pays africains ne possèdent pas de structures pointues de recherches dans les branches des sciences fondamentales. Peut il avoir un lien entre ce que vous faites aux Etats Unis et les Universités de votre pays ou de votre continent d'origine l'Afrique. Les résultats de vos recherches sont ils exportables ou avoir des retombées dans nos pays ?

L'élément principal de notre travail c'est la curiosité, la curiosité scientifique. Cette curiosité existe aussi en Amérique que sur tous les continents y compris en Afrique. C'est souvent à tort qu'on complique la question du savoir et de sa recherche. Par exemple notre système éducatif ici au Niger est très adéquat et nos jeunes sont scientifiquement talentueux. Jusqu'au niveau Baccalauréat j'étais le résultat de ce système éducatif. A l'extérieur j'ai découvert un autre monde mais j'ai pu relever le défi dans le domaine de savoir hors du Niger et j'ai tiré mon épingle du jeu. Notre système académique est simplement perfectible surtout au niveau universitaire mais aussi il faut encourager les jeunes à poursuivre vaille que vaille les études et la recherche universitaire ; c'est comme cela que des potentiels et des talents peuvent s'éclore et se développer.

Maintenant, est ce que ce que nous faisons comme recherches aux Etats Unis peuvent bénéficier au Niger ou à l'Afrique. Comme je l'ai expliqué nos recherches sont des recherches de base qui peuvent avoir des implications dans d'autres domaines de la vie et des retombées auxquelles on y a pas pensées et cela dans n'importe quel pays ou sur n'importe quel continent.

Pour ce qui est de l'exploitabilité de ce que nous faisons aux MIT, nous avons une initiative MIT Arica (http://misti.mit.edu/mit-africa-initiative) qui amène nous étudiants faire des projets en Afrique. Pour mon laboratoire, et je dirais au MIT en général, nous avons plus tendance a nous intéresser aux problèmes qui demandent des approches la fois inédites, ou elles n'existent pas exactement de solutions ailleurs, mais aussi dont nos talents spécifiques contribueront a l'innovation que ce soit technologique ou dans les découvertes.

Mais cependant dans n'importe quelle structure de recherche et dans n'importe quel pays y compris ici en Afrique les chercheurs peuvent faire preuve faire de la création, avec la ténacité et aboutir à des choses extraordinaires ; pourvu qu'ils aient les moyens et l'encouragement nécessaires. Ceci dit mon appel à l'endroit des jeunes de mon pays est de les encourager à mettre toute la persévérance à l'acquisition du savoir et des connaissances en sciences c'est la meilleure voie, je pense, pour développer notre pays et notre continent.

Propos recueillis par Mahaman Bako

14 janvier 2016

Source : Haské