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Mounkaïla Halidou : Un syndicaliste dans la tempête



D'un milieu modeste
Dévoué au syndicalisme, il en a fait sa vie. Ces jours, ces semaines, ces mois constituent une période agitée pour le secrétaire général du Syndicat national des agents contractuels et fonctionnaires de l'éducation de base (Synaceb), le plus grand syndicat de l'éducation nigérienne, logé au sein d'une coalition unitaire qui s'appelle CAUSE. Le « SG », comme on dit au Niger, a 43 ans. Il est né à Niamey « dans une famille de pauvres ». Son père était tailleur et sa mère ménagère. Ils étaient 21 enfants. Presque tous les frères de Halidou sont devenus couturiers, mais lui a suivi un chemin différent. Bon élève, il s'engage très jeune dans le syndicalisme scolaire. Au moment de la conférence nationale, il est en troisième, et déjà responsable syndical de son collège. En première, il quitte le lycée Issa-Korombé pour une école privée de la capitale, la contestation juvénile ayant perturbé ses études. Halidou rate le baccalauréat. « J'étais là, inactif. Je ne faisais qu'aider le vieux à l'atelier. Je me suis dit qu'il fallait que je fasse autre chose que ça, que je mette en valeur mes petites compétences », raconte-t-il.

Marqué par son statut de contractuel
En 2001, Halidou devient donc enseignant sans formation, sous le statut de volontaire. À cette époque, l'État recrute. Il a 27 ans et il est envoyé dans une école de brousse, où il enseigne aux élèves de CM2. L'année suivante, il passe le concours de l'École normale d'instituteurs et il est reçu. Il est recruté en tant que contractuel à Niamey en 2003, dans un quartier éloigné de la rive droite, où il a grandi. La carrière de Halidou, tant comme enseignant que comme syndicaliste, témoigne des difficultés croissantes de l'éducation. Volontaires, puis contractuels, une écrasante majorité des enseignants est précaire et formée dans des dispositifs temporaires, au gré des solutions imaginées par les bailleurs de fonds et les autorités nigériennes pour tenter de combler le grand gouffre de l'éducation nationale. Halidou arrive dans l'enseignement à point nommé : le gouvernement vient de dissoudre les volontaires et leur syndicat. Deux ans plus tard, en 2005, les nouveaux contractuels s'organisent. En 2006, le Synaceb est créé, pour les défendre, après plusieurs mois sans salaire. Halidou est élu secrétaire général.

Une longue expérience de syndicaliste
Ça fait onze ans. Son mandat s'achève dans un an. Ce sera le dernier. Il le jure. À la tête d'un syndicat de base, ces onze ans ont été entièrement dévorés par l'organisation, activité sans trêve, permanente. Il ne voit pas beaucoup ses deux femmes et ses cinq enfants. À partir d'avril 2018, il se consacrera à son mandat de secrétaire général adjoint de la Confédération nigérienne du travail, fort de la licence en gestion de ressources humaines acquise en cours du soir et des connaissances en droit du travail qu'elle lui a permis d'acquérir.

Cette année scolaire est décidément difficile. Mais ce n'est pas la première. Halidou a durement bataillé sous le régime du président Mamadou Tandja. Pourtant, en 2011, à l'élection du socialiste Mahamadou Issoufou, il était confiant, plus confiant que jamais. « On était côte à côte dans la rue avec eux. On a battu le pavé ensemble. J'avais beaucoup d'espoirs. Nous étions des amis. » En effet, plus encore chez les roses que dans les autres partis, beaucoup de leaders politiques sont issus du syndicalisme étudiant. C'est le cas de plusieurs ministres actuels et de plusieurs leaders de la société civile.

Cela fait des années que le syndicat tente de garder le cap. Son objectif principal est l'intégration des contractuels au sein de la fonction publique. Les autres revendications historiques portaient sur la formation pour tous, une augmentation du salaire et le paiement à temps des pécules.

L'objectif final, c'était la disparition de ce statut au rabais. Le syndicat y croyait dur comme fer. Après beaucoup de batailles et de sacrifices (presque 2 500 contrats résiliés en 2009), l'horizon s'était ouvert. La Ve République avait fini par mettre genoux à terre en 2009. Tous les contractuels seraient devenus titulaires en 2015.

L'amer constat d'un échec relatif...
Deux Républiques plus tard, « le rêve a échoué. » Les reversements à la fonction publique n'ont pas été réguliers. L'État n'a pas tenu ses engagements. Ils étaient 6 000 la première année, 3 900 la deuxième, 2 500 la troisième. En 2012-2013, 4 200 pour deux ans, dont 476 reversés mais toujours en attente de matricule. En 2014, les 4 200 prévus ont été eux aussi suspendus. Et depuis, plus rien. « Chaque année, on recrute de nouveau des contractuels. Leur effectif, de nouveau, est presque le quadruple de celui des titulaires. Ils sont 59 000 sur un total de 72 000 ou 73 000 enseignants du primaire. » Et 52 000 syndiqués. Une armée. C'est vrai, le Synaceb a enregistré des victoires. La formation pour tous, à travers un cycle de quarante-cinq jours pendant les vacances d'été. Un quasi-doublement du pécule, qui était de 40 000 francs CFA à l'origine, de 75 000 aujourd'hui pour un enseignant sans responsabilités (à peu près la moitié du salaire d'un enseignant titulaire.)

Alors, retour à la sinistrose des années 2000 ?
« Le contexte n'est pas le même. À l'époque, il fallait éponger les neuf mois sans salaire du régime de Wanké. Le budget de l'État était maigre et en redressement. Le budget d'aujourd'hui représente presque dix fois celui de 2001. « À l'heure actuelle, nous sommes sur la défensive. L'espoir qu'on nourrissait pour l'école ne fait que reculer. Toutes les réformes ne font que faire régresser la qualité du système. Il y a des problèmes de mal gouvernance, de politisation de l'administration. Il n'y a même pas de dynamique de concertation à l'intérieur de l'équipe gouvernementale. Sinon, pourquoi, alors que six ministres se disputent le secteur éducatif, aller chercher le ministre de l'Intérieur pour négocier avec nous ? »

... malgré un protocole d'accord engageant l'État
Le 13 décembre dernier, un comité présidé par le ministre de l'Intérieur Mohamed Bazoum, président du parti rose, signe avec les syndicats un protocole d'accord. L'accord prévoit l'apurement des quatre à cinq mois d'arriérés que totalisent les contractuels, leur paiement à terme échu dans l'avenir, la reprise des recrutements interrompus – certains contractuels, les plus âgés, risquent d'être frappés par la limite d'âge – et l'adoption pour tous les enseignants de la grille spéciale de la fonction publique, comme leurs collègues des finances et de la santé.

Le protocole n'a pas été exécuté, « sauf l'apurement des arriérés, avec un léger retard ». En revanche, le ministre de l'Éducation, Daouda Marthé, a annoncé une évaluation générale, en français et en mathématiques. La loi de finances 2017 a diminué de moitié l'enveloppe servant à payer les contractuels. Personne n'a dit pourquoi. Mais chacun a interprété l'initiative du ministre comme un moyen de dégraisser les rangs, sous prétexte d'améliorer la qualité. Le syndicat « a rejeté en bloc cette proposition ». Certains gouverneurs et préfets menacent de renvoyer des contractuels. À Dosso et Maradi, des syndicalistes ont été arrêtés. Une plainte a été déposée au Bureau international du travail pour entrave à la liberté syndicale. « Je suis très inquiet sur l'avenir de ce pays et du système éducatif. Très inquiet, vraiment », confie, sombre, Mounkaïla Halidou.
30 mars 2017
Source : http://afrique.lepoint.fr/