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Niamey : ces déguerpissements dans la ceinture verte qui interrogent la souveraineté, la justice sociale et l’environnement

niamey ces deguerpissements dans la ceinture verte qui interrogent la souverainete la justice sociale et lenvironnement Une urgence écologique légale
La ceinture verte de Niamey, espace classé d’utilité publique depuis plusieurs années, s’étend sur près de 2 331,35 hectares autour de la capitale. Elle constitue un poumon écologique vital pour la ville. L’État nigérien a engagé une opération de libération foncière, concentrée sur environ 397 hectares occupés illégalement, selon les autorités environnementales.

Lancée officiellement le 22 juin 2025, cette opération se déroule en deux phases : d’abord le démantèlement des constructions précaires, puis la démolition des bâtis solides après notification. Le cadre juridique repose sur plusieurs décrets (2004, 2020, 2023) déclarant la ceinture verte comme forêt domaniale et zone d’utilité publique.

Une controverse nationale, du Niger à la diaspora
Depuis quelques jours, les réseaux sociaux nigériens et même au-delà dans la diaspora sont le théâtre d’un débat particulièrement houleux autour des déguerpissements en cours dans la ceinture verte de Niamey. Les uns dénoncent une opération brutale, inhumaine, menée sans égard pour les droits des familles ; d’autres y voient une nécessité écologique dictée par l’urgence de préserver ce patrimoine environnemental menacé.

À Bruxelles, dans le quartier de la rue Heyvaert, lieu de rencontre habituel de la diaspora nigérienne, les discussions vont bon train. Devant le restaurant "Faso du Niger", par exemple, certains s’indignent : « Même si c’est illégal, on ne détruit pas la maison d’un pauvre sans solution de rechange », lâche Boubacar K., chauffeur Uber. D’autres répliquent : « Vous voulez une capitale étouffée par les constructions anarchiques ? » souligne Ali Pétit, revendeur de véhicules d’occasion. L’affaire divise familles, amis et communautés, à Niamey comme à l’étranger.

Ce débat reflète le clivage national autour de cette opération complexe et politiquement sensible. Un acteur de la société civile, ayant requis l’anonymat, soutient quant à lui que l’intervention répond à une urgence environnementale et vise à restaurer l’ordre juridique. Il plaide toutefois pour une approche respectueuse des droits, fondée sur :

  • une sensibilisation préalable des populations concernées ;
  • des mesures sociales d’accompagnement ;
  • des mécanismes de recours et de transparence.

Entre justice étatique et justice sociale
D’autres voix critiques, issues de la société civile, soulignent un profond décalage entre la légalité des textes et l'équité de leur application sur le terrain. Elles dénoncent le caractère sélectif et parfois arbitraire des démolitions, évoquant des complicités présumées entre lotisseurs véreux, agents administratifs corrompus et élus locaux.

Bilan critique des approches
L’opération de déguerpissement met en lumière plusieurs visions contrastées :

  • Les autorités publiques défendent la légitimité juridique de l’opération et insistent sur l’impératif écologique, soulignant la nécessité de préserver un espace vital pour la capitale. Toutefois, "la décision est jugée tardive", et les populations affectées manquent d’alternatives concrètes.
  • Certains acteurs sociaux plaident pour une justice sociale prioritaire, insistant sur les conséquences humaines et la brutalité perçue de l’opération. Leur approche met en avant la vigilance citoyenne mais tend parfois à minimiser les enjeux environnementaux ou à contourner le cadre légal.
  • D’autres voix conciliatrices appellent à une position équilibrée, articulant impératifs environnementaux et respect des droits. Cette posture, bien qu’appréciée, pourrait rester théorique si elle n’est pas accompagnée de mesures concrètes et appliquées de manière rigoureuse.
  • Des critiques plus radicales, issues de la société civile, pointent un décalage entre la légalité des textes et leur mise en œuvre équitable. Elles dénoncent une application sélective de la loi, nourrie par des complicités présumées entre lotisseurs véreux, agents corrompus et responsables politiques locaux.

 Pour une gouvernance foncière exemplaire
Cet épisode révèle un enjeu global de refondation de l’État nigérien. Il ne s’agit pas seulement d’appliquer les lois, mais de faire preuve d’une gouvernance transparente, inclusive et responsable. Selon la manière dont elle sera conduite, l’opération pourrait devenir soit un modèle de souveraineté digne, soit un précédent controversé de gestion autoritaire.

Recommandations

  • Renforcer la communication et la sensibilisation citoyenne ;
  • Associer les communautés locales via des représentants de quartier ;
  • Dédier un budget social pour le relogement ou l’indemnisation ;
  • Publier la chaîne des responsabilités foncières ;
  • Créer un comité de suivi citoyen et indépendant.

Les démolitions dans la ceinture verte de Niamey ne sont pas qu’un dossier d’urbanisme : elles cristallisent les tensions entre environnement, souveraineté, justice sociale et gouvernance. Si l’État entend restaurer son autorité et protéger l’environnement urbain, il lui revient de montrer que cette démarche est équitable, inclusive et respectueuse des droits fondamentaux des citoyens.

Aïssa Altiné (Nigerdiaspora)