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Article12 : Hala leñii Niger non "L’affaire qui concerne tout le Niger"

Carte Niger O3Article12 : Hala leñii Niger non*
Sur la question de l'article 12 de la Charte de la Refondation, il est important de s'exprimer, voire de s'indigner car il s'agit d'une attaque qui ébranle notre cohésion nationale. Jamais, au grand jamais, un pouvoir politique n'a osé poser un tel acte de fracture sociale. Certes, on avait quelques fois en sourdine d'un discours, quelques fois en filigrane d'un écrit isolé, des incursions à connotation ethnique. J'ouvre ici une utile parenthèse pour dire que l'article 12 convoque l'ethnie et non la région. En effet, aucune des huit régions du Niger n'est homogène du point de vue ethnique et linguistique.

Ceci dit, l'article 12 de la Charte de la Refondation est à dénoncer pour au moins deux raisons majeures. D'abord cet article, qui aborde la question des langues nationales et tel que rédigé, a été frauduleusement introduit sans aucun débat préalable ; ensuite, il n'a fait l'objet d'aucune communication officielle quand la forfaiture a été découverte à la parution du Journal Officiel. À cette date, le CNSP répond, au feu qu'il a volontairement allumé, par un silence assourdissant qui peut être interprété, soit par un certain mépris, soit par une "stratégie du fait accompli par l'usure" ou enfin par une paralysie sécrétée par des contradictions internes au sein de ceux qui dirigent le pays. Toujours est-il que le CNSP et le Gouvernement laissent à des voix non autorisées l'ingrate tâche de défendre le scélérat article 12 alors que les réseaux sociaux s'enflamment comme jamais et que fusent toutes sortes de propos, y compris les plus dommageable à l'Unité Nationale.

Le Général Tiani a, au cours d'une de ses interventions, insisté sur la notion de l'opportunité de l'action publique pour expliquer la démarche du CNSP dans la conduite des affaires du pays. On ne peut que saluer cette sagesse qui est la marque de fabrique d'un homme d'État. Mais à bien analyser la situation de notre pays, l'opportunité de l'article 12, tel que rédigé, interroge. En effet, aujourd'hui, nous avons besoin de tout sauf de la plus minime fissure du ciment de l'Unité Nationale. Est-il opportun d'allumer le feu avec l'article 12 alors que les citoyens sont éprouvés par des difficultés multiples ? Dans un pays qui souffre des effets de l'isolement diplomatique ? Un pays en guerre contre un ennemi interne insaisissable et à l'offensive dans toutes les régions ? Un pays redoutant les nuisances de presque tous ses voisins ? Un pays aux finances asséchées ? Un pays que l'impérialisme occidental a juré d'étouffer ? Comment ne pas s'étonner — dans la situation qui est celle du Niger — de voir nos dirigeants dégoupillent eux-mêmes la grenade à effet identitaire avec cet article 12 ?

Ceci dit, il est aussi important d'insister sur d'autres points auprès de ceux qui veulent entendre, car il n' y a pire sourd que celui qui ne veut entendre ; il n'y a pire obtus que celui qui croit en sa force ; il n' y a pire aveugle qu'un fanatique. Primo, défendre les statuts de sa langue maternelle, de sa communauté et de sa culture n'est ni de l'ethnicisme ni du communautarisme primaire car s'aimer et aimer les siens n'est pas le rejet de l'autre ! Et conséquemment, revendiquer que toutes les langues du Niger aient le même statut ne signifie pas le rejet du Hausa ; ce n'est point non plus ignorer l'importance numérique des locuteurs de cette langue.

J'ai remarqué que certains compatriotes en dénonçant l'article 12, comme pour s'excuser, se sentent obligés d'étaler la composition et la répartition géographique de leur famille. Personnellement je ne le ferai pas car défendre le statut du fulfulde ainsi que celui de toutes les autres langues du Niger est un sain et noble combat. Je ne le ferai pas car il ne faut point céder à une tentative de terrorisme intellectuel qui pointe à l'horizon. On est plutôt dans l'attente que ceux qui portent atteinte à l'Unité Nationale par leurs propos et leurs actes fassent amende honorable.

La question de la langue n'est pas une question entre Est et Ouest, Nord et Sud, encore moins entre Zarma et Hausa, comme certains souhaitent qu'il en soit

Secundo, en ce XXIe siècle, il s'avérerait suicidaire de vouloir imposer par voie législative une langue dans un pays dont la nation n'est en construction que depuis une soixantaine d'années. Quelques exemples précieux à l'intention de ceux qui veulent entendre. Au Nigéria, pays qui semble être une référence pour certains, les différentes autorités se sont gardées de donner au Hausa un statut supérieur aux autres langues. Aucun pays de l'AES, encore moins de l'Afrique de l'Ouest, n'a osé hiérarchiser ses langues nationales tel que le prescrit l'article 12 de la Charte de la Refondation. Des pays comme le Maroc ou l'Algérie, qui avaient imposé l'arabe comme langue officielle, ont dû, par la suite et par la force des choses, conférer au Tamazight le même statut. Mais il y a un exemple vertueux que je ne cesse de citer : la Suisse. Cette nation européenne, qui s'est progressivement constituée au cours des siècles, a quatre langues officielles : l'Allemand qui est parlé par 63% de la population, le Français par 20%, l'Italien par 8% et le Romanche dont les locuteurs ne sont que cinq cents mille (500 000). Bien que les locuteurs de l'Allemand constituent près des 2/3 de la population, il ne viendra à l'esprit d'aucun suisse de donner à cette langue un statut supérieur aux autres, d'en faire l'unique langue officielle. Et personne ne peut dire que la Suisse n'est pas une nation paisible, à la démocratie citoyenne forte et...prospère.

Mao, le Bâtisseur de la Chine moderne et prospère, bien que d'ethnie Han, condamnait et luttait contre ce qu'il décrivait comme chauvinisme Grand Han à l'encontre des autres minorités nationales chinoises.

Tertio, comme, je le laissais deviner plus haut, la question de la langue n'est pas une question entre Est et Ouest, Nord et Sud, encore moins entre Zarma et Hausa, comme certains souhaitent qu'il en soit ! Non, je le répète : aucune région du Niger n'est homogène du point de vue ethnique et linguistique. Dans toutes les huit régions du Niger cohabitent au moins trois langues nationales. C'est pourquoi l'article 12 interpelle toutes celles et tous ceux dont la langue maternelle n'est pas le Hausa. L''article 12 interpelle aussi — je fais ici une clin d'œil aux marxistes d'hier et d'aujourd'hui —  toutes celles et tous ceux qui sont de langue maternelle Hausa et qui ne sont point  animés  par ce que la pensée Mao Zedong qualifierait de sentiment Grand  Hausa. Rappelons que Mao, le Bâtisseur de la Chine moderne et prospère, bien que d'ethnie Han, condamnait et luttait contre ce qu'il décrivait comme chauvinisme Grand Han à l'encontre des autres minorités nationales chinoises.

L'histoire, les réalités sociales et sociologiques, l'exigence de la paix et de la cohésion sociale, le plein épanouissement de toutes les communautés nationales, le sens de l'intérêt supérieur du Niger, bref, tout ceci milite pour la réécriture de l'article 12 dans le sens de l'esprit et de la lettre de  la loi de 2019

Pour conclure sur ce sujet, le Général Tiani et ses frères d'armes ont réussi jusqu'ici à souder et à mobiliser le Peuple du Niger derrière l'étendard de la lutte anti-impérialiste. Ils ont bénéficié d'un soutien populaire dont ne peuvent se targuer les régimes précédents. La question brûlante est de savoir s'ils peuvent accepter d'être les premiers dirigeants nigériens à poser un acte ayant une haute connotation ethnique car parler de langue au Niger et en Afrique renvoie nécessairement à l'ethnie ? Assurément NON ! Au contraire, l'histoire, les réalités sociales et sociologiques, l'exigence de la paix et de la cohésion sociale, le plein épanouissement de toutes les communautés nationales, le sens de l'intérêt supérieur du Niger, bref, tout ceci milite pour la réécriture de l'article 12 dans le sens de l'esprit et de la lettre de la loi de 2019.

* Hala leidi meɗein Niger non

Moussa Oumarou Diallo.