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Monnaie nationale et entreprises publiques : un levier pour l’efficacité et la compétitivité économiques du Niger

Ali Zada 02
ECOSYSTEME FINANCIER D’ENTREPRISES PUBLIQUES ET ENJEUX POUR L’EFFICACITE ET LA COMPETITIVITE ECONOMIQUES DANS LE CONTEXTE D’UNE MONNAIE NATIONALE

Les citoyens de l’AES continuent à rêver de la sortie du FCFA par leurs pays. Malheureusement on ne perçoit encore aucun signe de cette réforme du côté des gouvernements. Et du côté des experts nationaux en monnaie, le silence est d’autant plus inquiétant qu’on ne lit encore rien dans la presse, les revues économiques, les publications académiques et les réseaux sociaux, donc rien qui montre de l’intérêt pour le sujet. 

Pour ma part, après avoir abordé les fondamentaux d’une monnaie nationale à travers quelques courtes publications sur WhatsApp, je souhaite poursuivre modestement la réflexion en abordant un aspect d’ordre stratégique dans la gestion d’une monnaie nationale. Comme de bien entendu, ma perspective se focalise toujours sur une monnaie nationale, car une véritable monnaie doit être nationale pour jouer son rôle et je pense que la réflexion présente doit davantage le prouver pour ceux qui en doutent encore, car elle aborde le sujet délicat du financement des secteurs productifs par le biais d’entreprises publiques et le contrôle de la masse monétaire, sans « auto-répression », concept contre lequel le Docteur J.T Pouemi mettait en garde les gestionnaires de monnaies nationales africaines. 

Le premier domaine de préoccupation dans la gestion d’une monnaie nationale est sans doute l’inflation, surtout pour nos pays qui ne produisent pas grand-chose et qui doivent importer massivement beaucoup de biens et services.

Encore une fois, ma perspective est celle d’une monnaie souverainiste, étatiste, éloignée dans sa doctrine, sa structuration institutionnelle, ses stratégies d’intervention, ses mécanismes de régulations et ses ambitions de transformation économique et sociale, d’une monnaie libérale pilotée de l’extérieur comme le FCFA.

Il m’a donc semblé important, dans la structuration institutionnelle d’une monnaie nationale nigérienne, la création d’une institution dont le rôle serait d’aider à organiser l’économie des entreprises publiques à travers un écosystème intégré dans lequel le financement de la production et les paiements y afférents n’auraient pas forcément besoin de masse monétaire qui circuleraient entre les acteurs.

J'ai l’habitude de dire que la gestion d’une monnaie n’a pas de schéma classique auquel chaque pays doit s’adapter. La monnaie et ses services, dont le crédit à l’économie est le plus important, sont du domaine de la créativité, pour répondre à des besoins différents de par les objectifs de la gouvernance, les capacités productives et les impératifs du marché. Il faut donc que nous comprenions que la monnaie telle qu’elle est enseignée et imposée à nos pays, n’a rien d’universel. La monnaie sera ce que les élites d’un pays voudraient en faire. Dès lors, il faut de l’imagination pour déconstruire les concepts libéraux qui emprisonnent nos esprits. Il faut de la créativité pour faire fonctionner harmonieusement une nouvelle monnaie avec l’économie. 

Dans les lignes qui suivent je propose au débat citoyen de l’AES, la création dans chaque pays d’une AGENCE NATIONALE POUR L’EFFICACITE ET LA COMPETITIVITE ECONOMIQUE -ANECE. 

Encore une fois, j’invite les lecteurs à garder en vue le fait que j’ai à l’esprit :

  • ⁠Une monnaie nationale et non une monnaie commune ;
  • ⁠Une monnaie souverainiste et non libérale.

Dans l’esprit d’une doctrine souverainiste-étatiste, le financement des investissements productifs de l’Etat et du fonctionnement de ses entreprises se basera sur la circulation de ressources naturelles, de produits et de services dans l’optique de construction de chaînes de valeur agricoles, minières et industrielles au sein desquelles la fourniture sera organisée avec des systèmes de paiements différents des mécanismes formels habituels. Un système de crédits circulaires inter-entreprises est recherché dans les règlements relatifs aux fournitures de biens et de services entre les entreprises publiques à travers des services financiers interbancaires intégrés tissés entre les acteurs de production. Il supervisera le mouvement non monétaire des marchandises, des services et des investissements entre les entreprises.

Le mécanisme veut compter sur les facilités d’enlèvement et de paiement dont pourraient jouir ensemble toutes les entreprises publiques et privées, dans le cadre d’une dépendance les unes des autres et d’un soutien stratégique les unes aux autres, la survie et la compétitivité des unes déterminant celle des autres. Il faut dire que le contexte singulier du Niger comme pays ayant tout le potentiel de ressources naturelles le mettant à l’abri d’importations, rend ce mécanisme facile à promouvoir. En effet si une seule matière première reste à importer, la chaine des approvisionnements ne pourrait continuer à se faire à crédit et se briserait à la première défaillance de remboursement.

En un mot, la « loi du marché » sauvagement promue par le néolibéralisme n’aura plus cours au Niger. L’unique « loi » sera celle de « capacitation économique du pays », avec pour ambition de construire des capacités agricoles, énergétiques, minières, industrielles, financières et de services dans une stratégie ayant pour axes : 

  • ⁠La création de toutes les capacités énergétiques, minières, agricoles, industrielles, infrastructurelles et de services à travers des entreprises publiques, en visant l’autonomisation du pays et la création massive d’emplois ; 
  • ⁠L’intégration de la production de valeurs et l’harmonisation des coûts de production de ces capacités les unes aux autres, pour qu’elles se fournissent les unes les autres et se supportent les unes les autres, par le biais de mécanismes de bonification des prix des matières première et des services, ainsi que de mesures de subventions et de compensations financières.

 Le plus grand risque existentiel pour une entreprise est l’isolement stratégique, c’est-à-dire le fait qu’elle ne reçoive rien comme matières premières ou produits semi-finis de son proche environnement et qu’elle ne lui offre rien comme produits qu’elle transforme. Et la force stratégique des entreprises réside dans le fait de travailler dans des chaînes de valeur de proximité via lesquelles les unes fournissent les autres pour arriver à la mise sur le marché d’un produit final sans facteurs importés. Le Niger a tous les atouts pour promouvoir cet environnement intégré d’entreprises publiques solidaires évoluant dans des chaînes de valeur exhaustives, sans facteurs de production importés.

Pour promouvoir l’intégration stratégique des entreprises publiques et le soutenir sur le très long terme, l’un des axes stratégiques majeurs est le développement de mécanismes financiers de subventions et de compensations pour :

  • Les entreprises qui doivent produire des biens et services dans le cadre de la redistribution de richesse ;
  • Les entreprises qui doivent fournir des biens et services encore très chers pour rendre les produits finaux compétitifs ;
  • Les matériels et équipements très coûteux que l’Etat doit importer, entretenir et renouveler dans certaines mines, industries et services ;
  • Etc.

Dans cette optique, la comptabilité des entreprises publiques et les services financiers interbancaires pourraient se faire en flux non monétaires, c’est-à-dire en simples écritures centralisées au niveau de l’AGENCE NATIONALE DE LA COMPETITIVITE ECONOMIQUE - ANECE qui ordonnera au bénéfice des entreprises, des transferts interbancaires de fonds entre banques commerciales appartenant à l’Etat, sans les mécanismes habituels de refinancement. Les actifs financiers des entreprises seront autorisés à être convertibles en monnaie nationale transférable dans le cadre d’achat de biens et de services à l’étranger.

Périodiquement, un bilan comptable sera dressé pour faire le point des créances et des dettes des entreprises les unes envers les autres et envisager les mesures pertinentes à prendre dans le cadre des apurements de passifs et des affectations de bénéfices. Les entreprises ayant un bilan positif seront renforcées dans leurs activités et stratégies. Les entreprises déficitaires seront aidées par toutes voies appropriées (subventions, compensations, recapitalisation, accès à davantage de crédits d’investissements, contributions des entreprises de la même chaîne de valeur pour soutenir un maillon fournisseur défaillant, apurement de passif par simple jeu d’écritures, etc.). La monnaie nationale est l’instrument unique de financement de cette stratégie, dans des mécanismes qui veilleront à ne pas produire de l’inflation. Tel est le défi. De la participation du secteur privé à ces mesures d’encadrement, de soutien et de sécurisation de la monnaie nationale dépendra le portefeuille d’incitations que l’Etat lui apportera.

Cet encadrement des achats et des ventes des entreprises publiques peut promouvoir une gestion financière basée sur le principe de flux tendu. Il obligera les entreprises publiques à ne garder que le strict besoin de trésorerie pour les salaires (stock monétaire). Leurs bénéfices seront consignés en « avoirs » scripturaux à la Banque Centrale. Ces avoirs seront libérés par création monétaire spéciale pour les besoins de dépenses intérieures et/ou convertis en devises en cas d’achats à l’étranger. Cette disposition participera à la lutte contre la surabondance de monnaie en circulation.

Une fois que les mécanismes de cette stratégie seront maîtrisés et huilés, elle pourra s’ouvrir au secteur privé local et étranger tant qu’il transforme des ressources agricoles et naturelles du pays sans facteurs importés.

Il est évident que cette perception du financement des entreprises n’est pas admise dans les écoles d’économie du système libéral qui veut voir la puissance financière et les grands acteurs productifs aux mains du privé et notamment de quelques familles. Qu’on ne se trompe donc pas sur le fait que le simple « crédit fournisseur » du jargon de la comptabilité n’a pas l’envergure et les ambitions recherchées dans cette approche. Pour la polémique, trouvera-t-on donc dans la doctrine libérale une « théorie » qui contredira toute tentative de promotion d’une voie souverainiste conduite par les ambitions, la puissance institutionnelle de l’Etat et la monnaie nationale ?

Il est encore plus évident que l’Agence Nationale pour l’Efficacité et la Compétitivité Economique -AECE constitue la cheville ouvrière dans la mise en œuvre du paradigme étatiste et que de l’efficacité de ses interventions dépend l’efficacité globale du nouveau modèle économique que nous cherchons à promouvoir. Devrons-nous donc faire l’effort de repenser le financement de l’économie en général et de l’entreprise en particulier en frayant sans complexe notre propre voie et en clouant à leur prison mentale les économistes de l’école néocoloniale. 

1.⁠ ⁠Axes stratégiques d’une Agence Nationale pour l’Efficacité et la Compétitivité Economique

Une Agence Nationale pour l’Efficacité et la Compétitivité Economique -AECE centralise les données sur tous les postes d’achats et ventes des entreprises publiques et fait les compensations par simples écritures, en donnant des ordres de transferts aux banques publiques. Sur la base des produits et services échangés, l’ANECE émet en faveur des entreprises publiques des crédits en monnaie scripturale dans les banques. Ces crédits seront inter-valorisables entre les entreprises dans le cadre de leurs relations de fournitures de biens et services. L’ANECE fait périodiquement les balances et suggère des mesures de subventions et de compensations. 

2.⁠ ⁠Objectif globaux d’une Agence Nationale pour l’Efficacité et la Compétitivité Economique

  • Coordonner, unifier et harmoniser la demande de monnaie de la part des entreprises publiques par un mécanisme basé sur la création de valeur ;
  • Aider à promouvoir de l’efficacité dans les appuis financiers de l’Etat dans les secteurs productifs, infrastructurels et sociaux ;
  • Aider à promouvoir un environnement économique stable et prévisible pour l’investissement, les initiatives entrepreneuriales et le commerce ;
  • Aider à lutter contre l’inflation par la stabilisation des prix des principaux facteurs de production (énergie, eau, acier, ciment, engrais), denrées alimentaires et pharmaceutiques et les services (télécommunication, finance, transports).

3.⁠ ⁠Objectifs spécifiques d’une Agence Nationale pour l’Efficacité et la Compétitivité Economique

  • Aider à intégrer et harmoniser les couts de production, notamment au niveau des secteurs cardinaux que sont l’énergie, les matières premières et les services que les entreprises publiques échangeront entre elles ;
  • ⁠Evaluer la compétitivité de ces grands secteurs productifs, apprécier les mesures de correction sur leurs prix et évaluer le niveau des subventions que l’Etat pourrait apporter à ceux dont la mission est transversale pour le fonctionnement des chaîne de valeurs nationales ;
  • ⁠Evaluer les besoins de création monétaire sur la base des performances des secteurs productifs ;
  • ⁠Aider à contrôler l’inflation en restreignant la masse de billets à faire circuler ;
  • Aider à promouvoir des frais de location pour les matériels agricoles, véhicules et matériels de construction détenus par l’Etat et formuler une grille officielle d’amortissement des investissements publics dans les domaines agricoles, miniers, industriels infrastructurels, matériels et équipements au regard des nouveaux défis de création de capacités publiques intégrées ;
  • Aider à analyser la comptabilité des secteurs subventionnés par l’Etat dans le cadre des politiques sociales (aides aux faibles par les fonds sociaux, éducation, santé et subventions publiques sur les denrées alimentaires, électricité, eau, gaz, carburant, transports publics, le ciment, l’acier du bâtiment, les engrais, etc.), l’agriculture et l’industrie, pour maitriser les coûts et apprécier l’efficacité des mesures et leurs impacts sur la monnaie nationale ;
  • Aider à promouvoir des frais de location pour les immeubles du domaine public utilisés par des acteurs privés ;
  • ⁠Aider à promouvoir des frais de location pour les terres agricoles mises en valeur par l’Etat ;
  • Aider à promouvoir des délais et taux progressifs de libération de parts sociales de l’Etat dans le cadre de ses partenariats avec le secteur privé stratégiques dans les domaines productifs (agriculture et industrie) ;
  • Aider à promouvoir les tarifs d’eau, électricité, téléphone, Internet et transports publics (route, rail et avion) dans l’objectif de compétitivité et de redistribution de richesse ;
  • Aider à promouvoir les cours nationaux des denrées alimentaires produites localement dans l’objectif de compétitivité, de redistribution de richesse et de protection du marché national ;
  • Aider à promouvoir un prix du kilogramme vif pour le bétail, un prix du kilogramme de viande, un prix des peaux brutes au kilogramme, un prix pour le lait frais à l’étable, un prix pour les volailles (poulet, pintades, dindons, canards, pigeons, faisans, autruche), les œufs, les fruits et les légumes ;
  • ⁠Aider à harmoniser les salaires des agents des entreprises publiques et de l’administration dans l’esprit d’équité ;
  • ⁠Aider à définir et harmoniser les régimes fiscaux applicables aux entreprises publiques et privées ;
  • ⁠Aider à identifier des gisements d’économies d’échelle dans les achats des organisations publiques (administrations, institutions, entreprises) ;
  • ⁠Etc.
  •  

4.⁠ ⁠Programmes hébergés par une Agence Nationale pour l’Efficacité et la Compétitivité Economique

4.1. Programme de Subventions aux Secteurs Stratégiques -PSSS (agriculture, énergies, mines, industries et transport aérien)

  • Conformément à sa mission, l’ANECE coordonnera un programme interne ayant pour axes stratégiques :
  • Le soutien financier aux entreprises déficitaires des divers secteurs jusqu’à leur épanouissement ;
  • Le financement de divers appuis techniques pour aider les entreprises à se structurer, se restructurer, innover et se diversifier ;
  • Le financement de certaines activités d’ordre stratégique des agences de développement (renforcement des capacités, achat de technologies, prise en charge d’expertises étrangères).

4.2. Programme d'Appuis à la Compétitivité de l'Economie -PACEC

Subventions et appuis techniques (développement de la qualité, renforcement des chaînes de valeur et promotion des exportations) aux entreprises des secteurs de l'agriculture, l'énergie, les industries et les services.

4.3. Programme d'accompagnement des compagnies aériennes nationales

Ces soutiens sont essentiels à l’essor des compagnies aériennes :

  • ⁠Développement d'un bureau de contrôle technique pour l’aviation civile ;
  • Promotion de la qualité ;
  • Tissage de leurs réseaux nationaux, régionaux et internationaux ;
  • Location d'espaces couverts et à ciel ouvert dans les aéroports internationaux, prise de participations dans des compagnies aériennes étrangères, achat d'immeubles de bureaux dans les principales destinations internationales, développement de prestations de catering de classe mondiale, mise aux normes pour intégrer des sky team internationaux, sûreté des aéroports, création d'un centre de formation du personnel de bord, frais de certification, frais des premiers contrats d'assurance et de réassurance ;
  • •⁠Etc.

Ali ZADA
Expert en politiques publiques ;
Enseignant à Swiss Umef University de Niamey.