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De la question de la langue au Niger : pourquoi pas le Tamasheq ou l’Arabe comme langue officielle ?

Arabe Tamasheq NigerC’est la question que bien de nigériens, loin des passions et d’autres considérations incompatibles avec les valeurs de la République, se posent. C’est en effet la question qu’ils se posent depuis la promulgation, par décret n°2025-160/P/CNSP du 26 mars 2025, la Charte de la Refondation. Les nigériens y découvrent, avec surprise, le contenu de l’article 12, qui, après confrontation des deux textes, ne serait pas celui sorti des Assises nationales. Cet article a suscité, de manière spontanée, compte tenu du caractère sensible de la question, toutes sortes de réactions au sein de l’opinion. Les débats continuent d’ailleurs à faire rage. Des propos qui heurtent la raison et écornent le vivre ensemble et la cohésion sociale sont tenus çà et là, provoquant des réactions énergiques et excessives de même nature.

Aux yeux de certains citoyens, issus de la quasi-totalité des communautés nigériennes, ce n’est pas tant la langue choisie comme langue nationale, mais bien c’est la déchéance de nationalité qui a frappé les autres langues nationales nigériennes citées dans le premier alinéa du même article. Déchues de leur nationalité, elles deviennent désormais des langues parlées. Comme le mandarin ou le yorouba, diraient d’aucuns. Pourtant, si la question de la langue ou des langues de travail doit se poser et être tranchée, dans le cadre de la recherche de la souveraineté nationale et l’indépendance totale du pays, le Niger a une chance dans ce domaine, une chance que beaucoup d’autres pays n’ont pas. Car une langue, c’est un ensemble d’éléments dont la phonétique, la syntaxe, la morphologie et l’orthographe. Il est vrai qu’une langue est d’abord parlée, mais si elle est écrite avec son propre alphabet, c’est encore mieux.

Nous utilisons jusqu’ici le français et son alphabet dans les textes officiels, les discours, l’enseignement. Et de c’est de cela que les nigériens veulent se libérer. Et au, Niger, nous avons cette chance d’avoir deux langues nationales qui ont leur propre alphabet multimillénaire : le tamasheq et l’arabe, parlées toutes deux au Niger par des communautés nigériennes, les touaregs et les arabes. Avec chacune de ces deux langues, il n’y a pas besoin d’emprunter un alphabet, l’alphabet français notamment qui est lui-même de l’alphabet latin duquel les nigériens veulent échapper. Ces deux langues disposent chacune de son propre alphabet : le tifinagh et l’alphabet arabe ou abjad. Langues nationales, parlées au Niger, et dans beaucoup d’autres pays, elles peuvent être élevées en langues de travail. Et pourquoi pas en langues officielles ?

Car, il s’agit pour le Niger d’être autonome, souverain. Il ne peut l’être, comme l’ont bien vu les nigériens et bien d’autres, en utilisant la langue du colon, une langue imposée par la force aux vaincus que sont les africains. En choisissant le tamasheq ou l’arabe, nous avons une langue, ou même deux, avec son alphabet propre. Le Niger ne dépendra alors plus du colon, encore moins de sa langue et son alphabet qui véhiculent tous deux la culture française qui est la vision du monde des français qui n’est pas forcément la nôtre. Mais, le targui et l’arabe sont des nigériens qui vivent avec les autres peuples nigériens en toute symbiose, partageant une géographie, une histoire, un espace et des valeurs communes.

Le tamasheq est parlé, en dehors du Niger, dans beaucoup d’autres pays de l’Afrique, de l’Ouest comme du Nord. Quant à la langue arabe, une langue adoptée par les Nations Unies parmi ses langues internationales, elle n’est plus à présenter. C’est une langue qui a son alphabet, avec une documentation abondante. Qui plus est, la majorité écrasante des nigériens sont des musulmans. Ils prient au moins cinq fois par jour, autrement s’adressent à leur Dieu, Allah le Tout Puissant, aux côtés de leurs nombreux coreligionnaires, dans les mosquées, en arabe. Ce sera, avec l’arabe érigée en langue nationale de travail ou officielle, l’occasion pour les fidèles de parfaire leur maitrise de la langue qu’ils utilisent pour prier Dieu, la Transcendance. Dans de milliers d’écoles du pays, les écoles dites franco-arabes, l’arabe côtoie le français. Il y a même des Universités islamiques, dont une publique, l’Université islamique de Say en l’occurrence, au Niger. Elles ont formé et continuent à former des cadres et des érudits, nigériens comme expatriés. C’est dire à quel point la langue arabe est implantée au Niger, dans la culture des nigériens, leurs moeurs, ainsi que dans leur coeur comme dans leur esprit.

Le tamasheq et l’arabe apparaissent donc les mieux placées pour remplacer, à terme, le français, la langue du colon. Ce sont les choix les plus raisonnés, les plus motivés, loin des passions. Car ces deux langues sont non seulement des langues nationales nigériennes, mais elles disposent aussi chacune de son propre alphabet. On peut certes dire que les touaregs et les arabes sont minoritaires, mais cet argument n’est pas scientifique dans le choix d’une langue de travail ou officielle. De majorité, si l’on considère bien les choses, il y en a plusieurs au Niger. Les femmes sont plus nombreuses que les hommes ; les jeunes sont plus nombreux que les adultes ; les musulmans sont plus nombreux que les autres croyants ; les pauvres sont plus nombreux que les riches ; ceux qui ne parlent pas français dépassent en nombre ceux qui parlent cette langue ; les paysans sont plus nombreux que les fonctionnaires…On peut citer des tas de majorités. Mais, le plus souvent, on n’en fait pas une loi.

Faisons donc des choix raisonnés, les plus motivés possibles. Et sur la question de la langue de travail ou même officielle, il ya deux langues nationales au Niger qui disposent de leur propre alphabet. Heureusement. En prenant une autre langue que ces deux, les nigériens seront obligés de prendre un alphabet d’emprunt. Ainsi faisant, ils ne sortent pas de la dépendance pour tendre vers la souveraineté. Certains diront que la langue érigée en langue nationale pourra avoir pour support alphabétique le tifinagh ou l’alphabet arabe. Alors, pourquoi ne pas prendre directement le tamasheq ou l’arabe, ou même les deux ? Nous sommes dans la refondation. Posons les questions que nous n’avons jamais osé poser. Prospectons d’autres voies. Sans passion, sans calcul mesquin ni arrière-pensée. Rien que pour le Niger.
Bisso (Le Courrier)