Lettre au chef de l’État : Est-ce une si banale coïncidence que DCTR, Issoufou Mahamadou et la DCTR elle-même embouchent la même trompette, avec les mêmes éléments de langage ?
Je ne vous dirais pas ce que je pense de la condamnation de principe des évènements du 26 juillet 2023 par Issoufou Mahamadou pour la simple raison que ce n’est pas un évènement. En revanche, les sujets dont je vais vous parler sont d’une grande importance parce que, j’ai le sens, préfigurant des perspectives que certains voudraient dessiner pour notre peuple qui n’est pas, hélas, visiblement sorti de l’auberge.Recevez d’abord mes félicitations renouvelées pour tout ce que vous entreprenez de bien pour le Niger dans le cadre de la lutte pour la souveraineté nationale ; un combat pour lequel nous n’avons que des compliments à vous adresser et des encouragements à vous exprimer. Certes, la situation présente encore et c’est tout à fait compréhensible, quelques insatisfactions. Mais le chemin parcouru en si peu de temps est appréciable et les jalons posés rassurent quant à un avenir plus radieux pour les jeunes générations. Les difficultés à affronter, les obstacles à surmonter, les pièges à éviter et les forces à défier sont si nombreux et prégnants qu’il faut bien plus que 12 mois, même pour un peuple aussi déterminé que le nôtre, pour en arriver à bout de tous les fers mûrement réfléchis et astucieusement élaborés pour nous asservir. La monnaie coloniale, le franc CFA, qui veut dire franc des colonies françaises d’Afrique pour ceux qui tomberaient sur cette lettre et qui l’ignorent, est le fer qu’il faut briser et ça, j’ai vite compris, moi, que ce n’est pas pour demain, la veille.
Comme tant d’autres compatriotes et sans doute comme des millions de Burkinabè et de Maliens, mon ardeur à voir les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) à briser la chaîne du CFA a été douchée lorsque j’ai vu avec quelle fébrilité vous avez à nouveau plongé dans les méandres des emprunts obligataires de l’Uemoa et des prêts de la Banque mondiale, les institutions créées par les puissances impérialistes pour nous dominer et nous asservir. J’ai compris que ce combat est relégué aux calendes grecques. Or, tout autre combat que celui-là n’est que gesticulation, m’a expliqué un économiste qui dit craindre à présent un retour en arrière. Bref, la lutte pour la souveraineté a pris un coup et c’est dommage.
Mon Général,
Vous avez certainement des mérites et ce n’est pas à moi de le nier ou même de ne pas l’admettre. Cependant, vous avez aussi, c’est humain, des insuffisances. Vous avez surtout commis une erreur de casting et fait des choix erronés quant aux grands principes et orientations de la gouvernance à privilégier au lendemain du 26 juillet 2023. Oui, votre erreur de casting, c’est d’avoir accusé l’ancien régime de pratiques de corruption, mais d’avoir maintenu, dans bien des cas, nombre de ses responsables dans leurs fonctions, leurs avantages et leurs privilèges. Non seulement vous n’avez pas fait le balayage que commande votre propre discours-message du 28 juillet 2023, mais vous avez nommé à de hautes fonctions nombre de responsables du régime déchu, pourtant contestés par l’opinion nationale pour leur rôle dans la gouvernance scabreuse que vous dénoncez. Le cas de Abdou Dan Galadima, secrétaire général du gouvernement sous Issoufou et premier président de la Cour de cassation d’octobre 2022 aux évènements du 26 juillet 2023, que vous avez nommé, malgré les dénonciations et les protestations de vos compatriotes, à la tête de la Cour d’État, la plus haute juridiction de notre pays sous la Transition.
Oui, vous avez également fait, hélas, des choix erronés, notamment dans la conduite de la lutte contre la corruption, le grand fléau dont le parrain n’est autre que Issoufou Mahamadou. Votre premier choix erroné, c’est d’avoir exonéré par la loi des délinquants et criminels notoires de peine pénale en intégrant dans l’ordonnance portant création de la Commission de lutte contre les infractions économiques, financières et fiscales (Coldeff) le fameux alinéa 2 de l’article 22 ainsi stipulé : « Toutefois, elle [la Coldeff] peut conclure une transaction avec le mis en cause et dans ce cas, l’action publique est éteinte ». J’ai lu une réflexion tendant à demander s’il ne serait pas judicieux de supprimer la justice. Eh bien, sans soutenir l’idée de la suppression de la justice, je pense que lorsqu’on retire à la justice le droit de connaître des affaires qui relèvent de ses compétences, il y a effectivement lieu de déclarer sa mise à mort.
Mon Général,
Avec la non-libération des prisonniers politiques, civils comme militaires, d’un régime auquel vous avez mis un terme par coup d’État, ce sont là les maladresses principales que vous avez commises et qui, malheureusement et à juste titre, ont fondé l’opinion de vos compatriotes quant au sort de leurs attentes. Aujourd’hui, les dés sont jetés et plus personne ne s’attend à un changement de paradigmes dans la gestion des affaires publiques. Comme quoi, le fer, il faut le battre lorsqu’il est chaud. Ce n’est pas que mon opinion personnelle, mais bien celle de nombre compatriotes qui disent noter, dans l’air du temps, des prémisses d’un tour de passe-passe visant à faire passer pour pertes et profits tant de crimes et délits qui expliquent la situation désastreuse, notamment au plan économique et financier, dans laquelle végète le Niger.
Oui, mon Général, j’ai commencé à entendre des appels à la réconciliation et à la paix en provenance précisément des milieux de ceux qui ont coulé ce pays à tous points de vue. Bien entendu, dans l’absolu, tous les Nigériens, depuis toujours, sont attachés à la paix et à la quiétude sociale. Cependant, lorsque, et c’est l’idée qui germe sûrement, l’entreprise vise à faire accepter des crimes, économiques et même humains,commis par des individus bien connus, ce n’est pas honorable et vos compatriotes espèrent que vous n’allez pas emboucher la même trompette. Une trompette que Issoufou Mahamadou, l’homme qui a ruiné le Niger, a embouchée dans sa lettre à la Fondation Mo Ibrahim par laquelle il condamne finalement le coup d’État auquel certains le croient associé et que la Dynamique citoyenne pour une transition réussie (DCTR), une structure très proche du même Issoufou Mahamadou, vous désigne comme l’initiateur. En faisant écho à ce discours surréaliste de l’homme qui a détruit tant de foyers nigériens, tant de structures politiques et sociales, emprisonné tant de compatriotes pour des desseins inavouables et qui est l’alpha et l’oméga de la corruption sous la 7e République, la DCTR ne fait pas preuve de si grande intelligence et je me dis que le pétard qu’on lui a demandé de lancer est déjà mouillé pour pouvoir faire mouche.
Mon Général,
Dans un communiqué rendu public le 19 août, La DCTR d’issoufou Sidibé vous impute carrément l’initiative et la volonté d’engager notre pays dans une dynamique « d’entente entre tous les fils et filles et du Niger » et que pour soutenir cette volonté, elle initiera une caravane de la paix sur toute l’étendue du territoire national précédée, lit-on, de prières et invocations pour un Niger souverain et prospère, stable et solidaire et pour une paix durable dans notre espace sous-régional ». Déjà, Issoufou Mahamadou, dans sa fameuse lettre de condamnation des évènements du 26 juillet 2023, a fait usage des mêmes éléments de langage. « Tous les nigériens, a-t-il écrit, doivent se ressaisir, tirer les leçons du passé, mettre fin aux querelles et divisions stériles, éviter l’éternel recommencement, se pardonner, se réconcilier, se rassembler, stabiliser, ensemble, le pays de manière durable ».
Est-ce une si banale coïncidence que DCTR, Issoufou Mahamadou et la DCTR elle-même embouchent la même trompette, avec les mêmes éléments de langage ? En priant pour toutes les victimes des inondations, je forme le voeu que Dieu, le Créateur des cieux et de la Terre, trace au Niger et à son peuple, une voie conforme à ses attentes !
Mallami Boucar (Le Monde d’Aujourd’hui)