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Niger-Chine : décryptage d’une rencontre stratégique et d’une coopération révélatrice

Niger ChineLa rencontre du 11 juin 2025 à Changsha entre Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, et son homologue nigérien, Bakary Yaou Sangaré, est bien plus qu’un simple rendez-vous diplomatique. Elle offre un éclairage pertinent sur la redéfinition des alliances du Niger post-26 juillet 2023, et surtout, sur la manière dont Niamey cherche à se positionner comme un acteur actif et respecté dans ses nouvelles relations internationales.

Le Niger au coeur des mutations géopolitiques : Une quête de souveraineté active

Cette réunion intervient à un moment charnière pour le Niger, engagé dans une réorientation diplomatique majeure où l’affirmation de sa souveraineté est devenue un principe cardinal. Le pays se distance progressivement de certains partenaires occidentaux traditionnels et diversifie activement ses alliances. Dans cette nouvelle équation géopolitique, la Chine, en tant que puissance mondiale émergente et acteur économique majeur sur le continent africain, se positionne comme un partenaire de choix incontournable. Le discours de Wang Yi, avec sa référence à une « amitié traditionnelle et une coopération Sud-Sud », s’inscrit parfaitement dans la rhétorique nigérienne actuelle. Ce langage diplomatique, loin d’être anodin, résonne avec la volonté du Niger de nouer des partenariats basés sur le respect mutuel et l’absence d’ingérence dans ses affaires intérieures. Le soutien explicite de la Chine à la « sauvegarde de sa souveraineté, de son indépendance et de sa dignité nationale » du Niger est un point d’accroche essentiel pour Niamey, qui cherche à consolider sa position sur la scène internationale après une période de fortes tensions et de pressions externes. Ce soutien, bien que rhétorique, valide la posture du gouvernement de transition et lui offre une légitimité supplémentaire sur la scène internationale.

La Stratégie Nigérienne : Prioriser les intérêts nationaux dans un dialogue exigeant

L’attitude nigérienne lors de cette rencontre illustre une volonté claire de définir activement les termes de la coopération, plutôt que de subir les conditions imposées. M. Sangaré a affirmé que la Chine est devenue un « partenaire majeur en matière économique, commerciale et d’investissement pour le Niger », et que les relations bilatérales ont été « élevées au rang de partenariat stratégique ». C’est une reconnaissance de l’importance des investissements chinois, mais aussi une manière pour le Niger de marquer que cette relation n’est pas passive ; elle est le fruit d’un choix délibéré et d’une évaluation pragmatique de ses intérêts.

Le Niger insiste sur une « coopération mutuellement bénéfique », ce qui n’est pas un voeu pieux, mais un appel direct à des partenariats équilibrés. Cela signifie que les avantages doivent être partagés de manière équitable et que les projets doivent répondre concrètement et visiblement aux besoins de développement socioéconomique du Niger. L’attachement du Niger à la sécurité des investissements, tout en étant une assurance pour la Chine, est aussi une manière d’affirmer sa capacité à garantir un environnement propice aux affaires, renforçant ainsi sa position de partenaire fiable et responsable sur le long terme. La réaffirmation de l’adhésion à la politique d’« une seule Chine » est un gage de bonne volonté diplomatique qui ouvre la voie à un dialogue franc et approfondi sur d’autres sujets d’intérêt mutuel. Lorsque Wang Yi souligne que les « divergences et problèmes rencontrés dans la coopération devraient être traités de manière appropriée par le dialogue par les deux parties », il s’agit d’une invitation à une discussion ouverte et pragmatique. La réponse du Niger, affirmant sa disposition à « renforcer la confiance mutuelle et à maintenir le dialogue dans un esprit de respect mutuel », démontre que Niamey est prête à s’engager dans ce dialogue, non pas en position d’infériorité, mais comme un acteur de plein droit, soucieux de ses intérêts souverains et de l’optimisation des retombées pour sa population.

Les ombres et lumières des partenariats Chinois : Le cas spécifique de la CNPC

Toute relation bilatérale d’une telle envergure, surtout lorsqu’elle touche au secteur névralgique des ressources naturelles, comporte son lot de défis et de complexités. Au Niger, la présence d’entreprises chinoises, et notamment de la China National Petroleum Corporation (CNPC), est un exemple éloquent de ces dynamiques. Si la CNPC a été un pilier essentiel du développement de l’industrie pétrolière nigérienne, contribuant de manière significative à la construction de la raffinerie de Zinder et à la réalisation du projet stratégique du pipeline d’exportation vers le Bénin, son empreinte n’a pas toujours été exempte de critiques. Des préoccupations substantielles ont été soulevées par le passé, tant par la société civile que par certains observateurs, concernant des aspects de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) de la CNPC.

Ces critiques ont souvent porté sur les conditions de travail des employés locaux, jugées parfois inégales par rapport aux expatriés ; sur l’impact environnemental de certaines opérations pétrolières, avec des allégations de pollutions ou de manque de transparence dans la gestion des déchets ; ou encore sur le respect des droits des communautés locales affectées par les projets d’extraction ou d’infrastructures. Des accusations d’opacité dans l’attribution de certains contrats ou de pratiques commerciales jugées non conformes aux attentes locales en matière de développement ont également pu surgir.

Ces «divergences et problèmes », pour reprendre les termes de Wang Yi, sont précisément ceux qui nécessitent un dialogue franc et des ajustements concrets de la part des entreprises chinoises. La capacité du Niger à faire valoir ses exigences en matière de respect des normes environnementales et sociales internationales, à maximiser les retombées locales de ces projets (création d’emplois qualifiés, transfert de technologies, développement d’infrastructures sociales), et à garantir une gouvernance transparente des revenus pétroliers, sera le véritable test d’un partenariat «gagnant-gagnant». Le fait que Wang Yi lui-même ait insisté sur l’importance de « répondre aux besoins de l’Afrique » et de « contribuer à sa revitalisation » offre une ouverture et une légitimité pour Niamey à aborder ces points sensibles de manière constructive et déterminée.

Implications et perspectives : Vers une coopération plus assertive et exigeante

Cette rencontre de Changsha n’est pas une simple formalité diplomatique, mais un indicateur fort de la nouvelle posture nigérienne sur la scène internationale. Le Niger ne se contente plus de subir les dynamiques mondiales ou de se conformer passivement aux agendas externes ; il cherche activement à les influencer et à les orienter en fonction de ses propres priorités nationales. C’est une quête d’autonomie et d’assertivité qui se traduit par une diplomatie plus proactive, pragmatique et, in fine, plus exigeante. Pour la Chine, c’est l’occasion de consolider sa présence et son influence dans une région du Sahel en pleine recomposition géopolitique, mais en s’adaptant à des partenaires africains de plus en plus conscients de leur valeur intrinsèque et désireux de faire valoir pleinement leurs droits souverains. Les défis demeurent, notamment celui de garantir la sécurité des investissements dans un contexte régional volatile et de répondre de manière crédible aux préoccupations légitimes des populations hôtes concernant l’impact des mégaprojets. Cependant, la volonté clairement exprimée par les deux parties de traiter les problèmes par le dialogue, dans un esprit de respect mutuel, est un pas important vers une coopération durable et réellement gagnant-gagnant. La balle est désormais dans le camp des acteurs économiques des deux pays pour concrétiser cette vision diplomatique en projets tangibles et mutuellement bénéfiques, en prenant en compte l’ensemble des dimensions de la responsabilité d’entreprise et de la contribution au développement humain.
Maiga Abdoulai (Le Canard en furie)