Niger - L’absence de juridiction constitutionnelle dans la Charte : quelles conséquences sur l’Etat de droit et les droits fondamentaux ?
L’absence de juridiction constitutionnelle dans la Charte : quelles conséquences sur l’Etat de droit et les droits fondamentaux ?
- La Charte de la Refondation du 26 mars 2025, qui a valeur constitutionnelle, ne prévoit pas de juridiction constitutionnelle, contrairement à l’Ordonnance abrogée portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de transition.
Le préambule de la Charte affirme le désir de : « créer les conditions pour l’édification d’un véritable État de droit […]. » En outre, l’une des missions de la Refondation est de « mener des réformes […] économiques, politiques, administratives et institutionnelles et consolider l’État de droit. »
Par ailleurs, la Charte prévoit au chapitre IV une panoplie de libertés, droits et devoirs fondamentaux, sans pourtant faire référence aux instruments juridiques internationaux à même de leur conférer une valeur constitutionnelle.
En vertu du principe de l’État de droit, les différents organes de l’État doivent agir en vertu du droit et ne peuvent agir qu’ainsi. Afin d’assurer le respect des normes, il faut un système de contrôle qui s’exprime notamment par le principe de constitutionnalité, qui permet aux citoyens de faire recours et se faire rétablir dans leurs droits.
« A défaut d’être effectifs, les droits de l’homme ne sont pas des droits mais de simples prétentions » (Eric Millard).
La justice, plus précisément la justice constitutionnelle joue un rôle important dans la protection des droits et la consécration de l’État de droit.
La question qui se pose est de savoir comment, dans cette période de Refondation, assurer le bon fonctionnement de l’État de droit et le respect des droits sans un organe de contrôle ?
- Parmi les attributions généralement conférées aux juridictions constitutionnelles, figurent en bonne place celles qui contribuent à l’enracinement de l’État de droit, et son corollaire sur la protection des droits fondamentaux. Il en est ainsi lorsqu’elles statuent sur la constitutionnalité des lois, des ordonnances, ainsi que la conformité des traités et accords internationaux à la Constitution ou tout autre texte faisant office de loi suprême.
Dominique Turpin constate fort à propos que le juge constitutionnel est « un véritable juge des lois, et au-delà un juge traquant dans la manifestation de la puissance publique tout excès de pouvoir législatif. »
Dans le contexte de la Refondation, les pouvoirs exécutif et législatif sont détenus par le Président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, qui légifère par ordonnances.
Convenons avec Montesquieu que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. A preuve, certaines actes et décisions des pouvoirs publics, sur lesquels le doute subsiste quant à leur conformité à la Charte, ont suscité une vive indignation au sein de l’opinion. Un contrôle a priori avant la promulgation leur aurait donné un vernis de légalité. A titre illustratif, si la juridiction constitutionnelle était instituée, l’Ordonnance No. 2025-07 du 18 avril 2025, portant missions, composition, et modalités de fonctionnement du Conseil consultatif de la refondation pouvait être soumise en contrôle de conformité. De même, on serait fixé si l’Ordonnance No. 2025-06 du 26 mars 2025, portant dissolution des partis était conforme à la Charte qui reconnaît la liberté d’association.
Au moyen du contrôle, le juge constitutionnel aurait assuré la conformité des ordonnances à la Charte, et éventuellement sanctionné toute violation. L’importance de ce contrôle n’est plus à démontrer car il résulte de la Charte des valeurs, principes et missions sous des concepts nouveaux qui ne figuraient pas dans les anciens textes fondamentaux tels que : « patriotisme », « lutte contre le terrorisme », « souveraineté nationale ». Comment s’assurer que les textes adoptés sous la Refondation s’y conforment ? Sans doute par le biais d’un contrôle judiciaire de conformité pour faire prévaloir la primauté de la Charte.
En ce qui concerne, les traités et accords internationaux, à ratifier au cours de la période de Refondation, ils doivent aussi être conformes à la Charte sous le contrôle du juge constitutionnel et ainsi prendre en compte ses principes avant toute ratification.
Également, le contrôle de conformité des normes législatives à la Charte permet de ne pas porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux. De ce point de vue, la juridiction constitutionnelle constitue formellement un véritable dispositif de protection du citoyen, une parade contre l’arbitraire du prince. Mieux, selon Pierre Avril et Jean Gicquel, elle est « la gardienne d’un trésor » que constituent les droits et libertés de la personne. L’ultime garantie serait d’ouvrir la saisine du juge constitutionnel au citoyen par voie d’action.
Quel recours pour le plaideur partie à un procès qui soulève l’inconstitutionnalité d’une ordonnance devant une juridiction, par voie d’exception ? Aucune, du fait de l’absence d’une juridiction constitutionnelle ; de ce fait, le justiciable peut se voir appliquer des lois contraires à la norme suprême qu’est la Charte.
Omission ou acte délibéré de ne pas prévoir le juge constitutionnel dans la Charte ?
Dans la première hypothèse, il existe un mécanisme de révision de la Charte ou de création d’une troisième chambre eu sein de la cour d’État ; dans la seconde, des risques d’arbitraire pourraient continuer à planer sur la gouvernance de la Refondation.
- L’absence d’un organe de contrôle de la constitutionnalité de la Charte a des conséquences sur la sauvegarde de l’Etat de droit et la protection des droits fondamentaux du citoyen, pourtant proclamés. Il s’agit, au-delà de la simple reconnaissance, d’œuvrer à leur effectivité.
La Refondation se définit comme une période d’assainissement, de réformes, de promotion des bonnes valeurs que l’office du juge contribuera à réaliser grâce au respect de la hiérarchie des normes.
La question de l’installation d’une juridiction constitutionnelle se posera tôt ou tard puisque l’une des missions de la Refondation est « d’adopter une nouvelle constitution et organiser des élections locales et nationales ».
Dans la réalisation de cette mission, l’organe constitutionnel devait jouer un rôle central, à l’instar du Conseil constitutionnel de Transition de 2010.
Abdourahamane Oumarou LY
contribution Web.