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Pardon et réconciliation : n'est-il pas temps de libérer Bazoum Mohamed ?

Mohamed Bazoum 001Cela fait bientôt deux ans que le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie -CNSP- préside aux destinées du Niger. C’est autant de mois de privation de liberté pour le président déchu au matin du 26 juillet 2023. Question : N'est-il pas temps de libérer Bazoum Mohamed ?

Lourdes accusations
Dans son tout premier discours à la nation après les évènements du 26 juillet 2023, le général Abdourahamane Tiani a expliqué aux Nigériens les raisons profondes qui, selon lui, ont justifié l’irruption de l’armée aux commandes de l’État :« L’action du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie -CNSP- est motivée par la seule volonté de préserver notre chère patrie face : D’une part, à la dégradation continue de la situation sécuritaire (…) D’autre part, la mauvaise gouvernance économique et sociale », a-t-il déclaré. Sur le même élan, le nouvel homme fort du Niger n’a pas manqué de faire le procès de Bazoum Mohamed : « Il faut véritablement s’interroger avec nous sur le sens et la portée de la décision d’un commandant en chef qui ordonne la libération de bandits lourdement armés pris sur un théâtre d’opération militaire[…] Sur le sens et la portée des propos d’un commandant en chef des armées qui déclare devant le monde entier que ses soldats qui se battent au prix de leurs vies sont ‘’moins forts et moins aguerris’’ que les terroristes ». Ces accusations sont d'autant plus lourdes de sens qu'elles sous-tendent une atteinte à la morale des troupes. Le 14 juin 2024, la Cour d’État (créée en novembre 2023) a levé l’immunité de Bazoum Mohamed. La voie d’un possible procès pour ̎haute trahison et atteinte à la sûreté du pays’’ est ainsi ouverte.De l'eau est passée sous les ponts, les mois se sont succédé. Les Assises nationales pour la Refondation du Niger (tenues du 15 au 20 février 2025) à Niamey ont fini par consolider l’ancrage du CNSP au sommet de l’État.

Un arrière-goût d'inachevé 
Après la remise officielle, le 10 mars 2025, du rapport final des Assises nationales de la refondation au général Abdourahamane Tiani, un vent d’espoir a soufflé sur le pays. À juste titre, les citoyens ont appelé de leurs voeux un changement radical dans la conduite de l’État. « Je m’engage solennellement à concrétiser cet espoir pour le bonheur du peuple nigérien, en prenant toutes les mesures pour ce faire ; cela dans l’intérêt supérieur de notre pays », a promis le général Abdourahamane Tiani. La libération partielle de détenus (le 1er avril 2025) symbolise un acte fort dans le sens souhaité par le peuple, à savoir la décrispation du climat sociopolitique.Des militaires accusés de tentative de coup d'État, un journaliste, des figures politiques, dont d'anciens ministres de Mohamed Bazoum, c’est au total une cinquantaine de prisonniers qui ont recouvré leur liberté. Toujours est-il que beaucoup reste à faire pour dégager l’horizon de notre pays. Cette libération de prisonniers a un arrière-goût d'inachevé. Le général Abdourahamane Tiani doit aller au bout de sa logique de décrispation. Pour donner tout son sens à la ‘’refondation du Niger’’, c’est l’ensemble des personnes détenues (pour des raisons politiques ou d’opinion) qui doivent sortir de prison. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Mohamed Bazoum reste, lui, privé de liberté. D’autres personnes sont dans la même situation dont l’ancien ministre de l’Intérieur, Hamadou Adamou Souley, l’acteur de la société civile, Moussa Tchangari, pour ne citer ceux-là. La libération de l’ancien président de la République n’est visiblement pas un sujet qui préoccupe beaucoup de monde au Niger. Certes la question ne fâche pas outre mesure, mais elle ne s’impose pas, ou timidement. Néanmoins des initiatives extérieures au Niger sont à noter dont la plus récente émane du Qatar. Le 24 février 2025, Mohammed Bin Abdulaziz al-Khulaifi, ministre d’État et des Affaires étrangères du Qatar, a été reçu par le général Abdourahamane Tiani. La libération de Bazoum Mohamed aurait été évoquée à cette occasion. Depuis, plus rien. Les lignes n’ont pas bougé. Le procès pour ‘’haute trahison’’ annoncé se fait attendre. À l’interne, aucune personnalité notable, aucune autorité morale connue, aucun détenteur du pouvoir traditionnel, n’a donné de la voix pour demander la levée de la restriction de liberté qui frappe Bazoum Mohamed depuis le 26 juillet 2023.Le cas vécu par Tanja Mamadou ne doit-il pas inspirer les autorités en place ? Renversé le 18 février 2010, détenu dans une villa de la présidence, puis à la prison de Kollo, Tanja Mahamadou a été remis en liberté le 10 mai 2011 après 15 mois de prison. Bazoum Mohamed et son épouse ont largement dépassé ce temps, reclus entre quatre murs. Question : n'est-il pas temps de libérer Bazoum Mohamed ? Certainement que la réponse est oui. À défaut d’une libération définitive, Bazoum Mohamed pourrait être mis en résidence surveillée en attendant un dénouement dans sa situation (pour rappel, le président Diori Hamani a connu un tel scénario). Au Niger, comme en dehors des frontières, beaucoup de voix sont unanimes sur le fait que l’ancien chef de l’État n’a pas sa place là où il se trouve depuis son renversement voilà bientôt 24 mois. « Le pardon et la réconciliation auxquels nous appelons ne peuvent s’opposer aux aspirations légitimes des Nigériens à la justice, les deux approches sont plutôt nécessairement conciliables », a déclaré le président du CNSP. Ces paroles doivent être suivies d’actes forts dont la libération de Bazoum. Au nom de la réconciliation nationale et de l’intérêt supérieur de la nation. 

Alpha (Le Courrier)